Qui eût cru qu’en préparant une randonnée pour un petit groupe nous allions plonger dans des histoires de pain de seigle, de croyances démoniaques et d’extermination? Et tout cela le long d’un doux parcours entre Erschmatt et Loèche, dans le parc régional naturel de Finges.
Sur cet itinéraire longeant le coteau sud de la vallée du Rhône, tout commence au vieux village d’Erschmatt. Ici, les habitations en mélèze aux petites ouvertures, les raccards montés sur pilotis et les granges remontent au XVIIe siècle et témoignent d’un Valais rural. Les champs en terrasse qui surplombent le village, le moulin et le four banal rappellent qu’ici, les gens se nourrissaient de ce que la terre leur donnait. Le seigle, céréale particulièrement résistante au froid et à la sécheresse, s’y épanouissait bien, permettant aux familles de cuire, deux fois l’an, leurs rations de pain.
Aujourd’hui, les habitations se sont modernisées, les fenêtres élargies et les céréales sont essentiellement importées de l’étranger. Mais peu importe, à Erschmatt, la tradition est un trésor qu’il convient de chérir. Le seigle y est toujours cultivé et une fois par année, le four banal réunit locaux et visiteuses.
Plus loin sur le parcours, après avoir traversé les belles steppes rocheuses caractéristiques de ce versant sec, le pont du Diable offre un autre saut dans le temps. Cet ouvrage en pierres reliant les deux rives de la gorge de Feschel et construit en 1563 était alors l’unique voie de communication entre Loèche et les villages du coteau jusqu’au milieu du XXe siècle. A l’époque, cet arc suspendu au-dessus du vide semblait l’œuvre, aux yeux de profanes, d’un personnage démoniaque. En échange de sa construction, celui-ci prendrait la première âme qui franchirait l’ouvrage. Les habitants lancèrent donc un bouc en éclaireur et construisirent une chapelle accolée au pont pour se protéger des foudres du démon.
Juste avant de plonger sur la vieille ville de Loèche, une grande prairie sèche invite au délassement. Alors que nous nous apprêtons à mordre dans nos sandwichs, une grande masse fend l’air. A notre hauteur, le plus grand rapace des Alpes plane majestueux. Le gypaète, dans toute sa grandeur, a lui aussi été un martyr sacrifié sur l’autel des croyances. Accusé de voler des agneaux et d’arracher de jeunes enfants de leur berceau, il a été exterminé à la fin du XIXe siècle, puis réintroduit dans les années 1980 dans les Alpes.
Au final, cette paisible randonnée censée avant tout être une découverte de milieux spécifiques offre bien plus. Elle interroge sur nos liens avec le passé, nos croyances et ce qu’il convient aujourd’hui de protéger.